ANA POPOVIC : Trilogy (2016)
La Belle de l’Est revient avec un projet ambitieux traduisant une volonté d’éclectisme musical : un triple album et vingt-trois morceaux en magasin. Ana a abattu un sacré travail, elle se défend toujours bien à la guitare et sa voix veloutée et sensuelle fait toujours des ravages. Découvrons donc un peu ce disque-fleuve sur lequel de nombreux invités viennent prêter main forte à la jolie chanteuse (parmi eux, le prestidigitateur Joe Bonamassa).
Le premier CD semble surtout dédié au funk rehaussé de cuivres et de chœurs (« Love you tonight », « Long road down » et l’instrumental « Fence walk »), à la soul (« If tomorrow was today ») et au rhythm'n’blues syncopé (« She was a doorman » avec un solo sous influence Hendrix). Ana donne de façon très talentueuse dans la chanson lente et mélodique avec « Train » (et son bon solo final) et « Hook me up » (avec un bon gimmick de guitare en intro). Mentionnons également « Too late » et son solo de gratte aux altérations jazz-rock.
La deuxième galette s’orienterait plus vers le blues-rock. Passons rapidement sur l’ennuyeux « You got the love » (un blues-rock syncopé) pour nous attarder sur « Johnnie Ray », un blues en mode mineur avec un bon solo de guitare en son clair emprunté aux Grands du blues. Glissons encore plus vite sur le funky « Woman to love » ainsi que sur le mauvais « Let’s do it again » (un rap, quel malheur !) pour déguster « Who’s yo’ Mama ? », un boogie speedé instrumental avec une six-cordes hurlante qui se met au slide sur la fin. Le bottleneck couplé avec un effet wah wah ne laisse pas insensible sur « Wasted » (un rhythm'n’blues en mode mineur) mais l’arrangement général sonne de façon bizarre. Quant au titre « Crying for me », il commence comme un blues traditionnel pour partir en cacahuète dans le style d’une chanson bastringue des pays de l’Est.
Le troisième disque est entièrement consacré au jazz. Du jazz en big band (« New coat of paint ») et du jazz aux accents be bop (« Waiting on you » avec sa trompette à la Dizzie Gillespie). Du jazz lent (« In a sentimental mood » et sa belle intro de guitare) et du jazz rapide (« Waiting on you, double-time swing »). Et aussi du jazz intimiste (piano, batterie, contrebasse) avec « Don’t you know what love is » et la voix d’Ana qui chante sur les traces d’Ella Fitzgerald.
Bon, tout cela est bien produit, bien emballé et devrait plaire au plus grand nombre. Cependant, quelques questions demeurent. Ou est passé le BLUES ? Où se cachent la rugosité et le feeling qui caractérisent cette musique ? Personnellement, je n’ai rien entendu de tout cela dans cette œuvre à rallonge ou alors à de très rares moments (pour ceux qui lisent entre les lignes). Pourtant, certains titres auraient pu mieux cartonner. La voix d’Ana et son jeu de guitare ne sont certainement pas en cause alors à qui la faute ? Eh bien, à ces maudits arrangements bien trop chromés et beaucoup trop modernes qui ont effacé sans pitié toute trace d’émotion. Même la partie jazz sonne trop clean, trop aseptisée, ce qui nuit au rendu musical. Dommage ! Au départ, cet effort partait d’un bon sentiment mais le résultat final manque cruellement de piment. Il est vrai que, selon le dicton populaire, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Les fans de Beth Hart et de Nora Jones adhéreront à la totalité de cet album qui risque bien de toucher un très large public. Tant mieux pour Ana ! Cependant, je conseillerai aux amateurs de blues purs et durs de faire l’impasse sur cette triple galette qui risquerait fort de les décevoir avec seulement deux bons morceaux sur un total de vingt trois, ce qui fait cher les vingt secondes. Back to the blues !
Olivier Aubry
Huitième album studio d'Ana Popovic et on peut dire que la très belle « blueswoman » serbe n'a pas fait les choses à moitié puisqu'elle nous offre rien moins qu'un triple CD. L'idée est de répartir les morceaux par style musical et surtout ambiance souhaitée... Ainsi le premier CD vous permet de vous donner une pêche d'enfer au réveil avec des morceaux aux consonances très funky/groovy. Une production exceptionnelle de Warren Riker (Carlos Santana, Lauryn Hill), des soli de guitare hallucinants, des cuivres, des musiciens d'exception et des invités triés sur le volet comme Joe Bonamassa sur "Train" et Robert Randolph sur "Hook Me Up" ! Bref une excellente entrée en matière que ce CD très justement intitulé Morning...
Le deuxième CD, consacré au milieu de votre journée, est dans le style habituel de la dame à savoir le blues rock de haute tenue. Dès le premier morceau "You Got The Love", le ton est donné, Ana Popovic torture sa guitare et en extirpe des sons incroyables sur une rythmique solide. Et comment ne pas succomber aux feulements sexy de la reine du blues sur "Johnnie Ray" ?
Le troisième CD est entièrement dévolu à votre soirée avec de merveilleux moments jazzy. Il est surprenant de constater à quel point notre Serbe préférée est autant à l'aise dans ce registre que dans le blues. Produit de main de maître par Delfeayo Marsalis, le frère de Wynton et Branford, qui y joue également du trombone et y fait les arrangements des cuivres, ce troisième volume vous donne envie de rester éveillé toute la nuit tant les ambiances sont feutrées et voluptueuses...
Une bien belle surprise donc que ce nouvel album de Miss Popovic qu'on s'empressera d'aller voir en tournée puisqu'elle nous gratifie régulièrement de sa présence ensorcelante sur les scènes hexagonales !
Olivier Carle (Merci à Karen Raharivohitra et à Simon Turgel)